Iran : quelles perspectives pour les droits humains ?
Été 2016
La République Islamique d’Iran, forte de ses 80 millions d’habitants et de pharamineuses réserves d’hydrocarbures, se présente depuis peu à la communauté internationale sous un jour nouveau. La signature de l’accord du 14 juillet 2015 prévoit en effet une levée progressive des sanctions économiques et financières à l’encontre du géant chiite en échange d’un abandon de son programme nucléaire dit « militaire » et d’un renforcement des contrôles en la matière. Le 16 janvier 2016, une décision attendue de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), basée à Vienne, a permis de franchir une première étape de mise en œuvre : les termes initiaux de l’accord étant considérés comme globalement respectés, la levée des sanctions a pu être initiée. S’en est directement ensuivie une série d’annonces d’accords d’investissements et de contrats commerciaux, à l’image de l’achat de 118 avions du groupe Airbus par le gouvernement iranien pour un montant de 25 milliards de dollars, annoncée dès le 28 janvier dernier. Suivant un bal minutieusement préparé au cours des derniers mois, gouvernements occidentaux et multinationales s’assurent ainsi leur part d’un gâteau resté presque intouché pendant 35 ans.
Restitution d’avoirs iraniens à hauteur de 3 milliards de dollars, diminution de l’inflation, accession au système de paiement interbancaire et hausse des ventes de pétrole iranien : malgré certains accrocs, l’accord nucléaire iranien commence dans ce sens à porter ses fruits. Le pragmatisme des décideurs politiques semble à l’œuvre de part et d’autre, notamment du côté des iraniens modérés portés par Hassan Rohani, Président de la République Islamique, pour permettre au processus de se poursuivre. Et ce malgré la volonté de certaines factions conservatrices de nuire à cette entente retrouvée – tels que les Gardiens de la révolution (organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei), responsables de récents essais de lancement de missiles, contraires aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Ce bouleversement historique, susceptible de marquer un retour durable de l’Iran dans le concert des Nations, constitue-t-il pour autant une bonne nouvelle pour le peuple iranien en matière de droits de l’homme ?
Certes, l’ouverture économique qui se joue actuellement pourrait, à moyen terme, fournir un nouveau souffle à la classe moyenne et, partant, aux forces pro-démocratiques iraniennes ; leur offrant une opportunité de maintenir le thème des libertés fondamentales à l’agenda. En tant que telle, elle ouvre aussi la porte à une amélioration des conditions de vie de la population iranienne, et donc à une timide progression des droits économiques et sociaux. La « Révolution verte », réprimée dans le sang en 2009, n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère à l’assouplissement de l’approche iranienne et à la décision de se rasseoir à la table des négociations – une façon, à terme, de racheter la paix sociale.
En matière de droits civils et politiques, nombre d’observateurs s’accordent pourtant sur le fait qu’il est encore trop tôt pour crier victoire, comme en témoigne le dernier rapport d’Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran. Toute une partie de l’appareil étatique iranien reste en effet en retrait de la politique d’ouverture dont le Président Rohani constitue le nouveau visage. Au sein des factions conservatrices, fidèles au Guide suprême de la révolution et à son discours fondamentalement anti-américain, la tentation de repli reste dans ce sens encore grande. Pire encore, les craintes d’une « invasion culturelle occidentale » rendue possible par l’allègement des sanctions économiques pourraient conduire à une crispation accrue des autorités, en particulier judiciaires et sécuritaires. En témoigne un inquiétant musellement de la presse et une multiplication des condamnations relatives à la liberté d’expression, dont journalistes et artistes progressistes continuent à être victimes. La fermeté semble ainsi de mise en matière culturelle et de droits humains, restés dans l’ombre d’une course aux investissements qui apparaît délestée de toute considération éthique.
Dans le même sens, les organisations de défense des droits de l’homme et le rapporteur onusien déplorent une hausse notable des exécutions pour l’année 2015. Le code pénal islamique, qui a fait l’objet d’une réforme jugée encourageante en 2013, peine ainsi à tenir ses promesses en termes de mise en œuvre. De même, la législation iranienne reste à ce jour nettement défavorable aux minorités religieuses telles que la secte Baha’i – que le reproche d’une allégeance passée au Shah condamne encore à l’opprobre – mais aussi aux musulmans convertis au christianisme, accusé d’apostasie, et à la minorité sunnite, à laquelle la construction de nouveaux lieux de culte est régulièrement refusée. Envers ces populations comme envers les femmes iraniennes, on constate un maintien des discriminations en matière de droits fondamentaux et d’accès à l’emploi. A l’image de la Chine, dont la politique d’ouverture économique a débuté dans les années 1990, les bienfaits du libéralisme ne s’accompagnent pas toujours d’une amélioration de la situation en matière de libertés fondamentales.
Il est dès lors encore trop tôt pour évaluer l’impact de l’accord nucléaire en matière d’ouverture démocratique. Deux facteurs au moins pourront influencer cet impact à plus long terme. Sur le plan intérieur, les urnes auront leur mot à dire. En témoignent les élections du 26 février 2016, qui ont récompensé la liste modérée de Rohani à Téhéran, remportant l’intégralité des 30 sièges de la circonscription. Rohani et les modérés n’ont à ce jour pas encore suffisamment dénoncé les abus des conservateurs du système judiciaires et des forces de sécurité du régime. Il pourrait en aller autrement dans le cadre d’un 2e mandat de Rohani, à compter de 2017. Un tel signal populaire pourrait en effet contribuer à renforcer le camp de la modération, lui fournissant plus de marge de manœuvre dans la poursuite d’un tel programme d’ouverture. Sur le plan extérieur, les multinationales qui s’apprêtent à investir le terrain iranien devraient, quant à elles, être tenues publiquement co-responsables de l’évolution de la situation en matière de droits humains ; et poussées à promouvoir un assouplissement des mœurs politiques et sociales en Iran, soutenant de ce fait l’agenda plus modéré du gouvernement de Rohani. Il importe donc autant que possible de prêter attention à l’évolution de la situation dans les mois à venir ; et de faire pression pour mettre en place des conditions favorables – tant au niveau national qu’international – pour accompagner l’ouverture économique actuelle d’un assouplissement du régime sur les questions d’ordre politique.
Plusieurs défis continueront toutefois à paver la voie de cette évolution : en premier lieu, l’emprise toujours déterminante des conservateurs religieux au sein du système politique iranien – forces qui, dans leur crainte de toute ingérence, ne manqueront pas de chercher à contrer la moindre tentative de remettre publiquement en question les mœurs sociales et culturelles de la patrie. De ce fait, on peut craindre que la mainmise conservatrice sur le pouvoir iranien ne permette qu’une très lente évolution de la situation ; et que, contrairement aux espoirs de certains, le dégel actuel ne puisse s’accompagner d’une véritable libéralisation sociale et politique. D’autre part, le fait que les acteurs même de l’ouverture économique actuelle répondent à de multiples intérêts, et que les mieux établis n’ont – pour des raisons matérielles mais aussi culturelles, notamment en termes de génération – pas à gagner d’une nouvelle donne, qui serait synonyme de concurrence accrue dans un système encore fortement marqué par le clientélisme.
Nous vous proposons plusieurs pistes de lecture sur le sujet :
Restitution d’avoirs iraniens à hauteur de 3 milliards de dollars, diminution de l’inflation, accession au système de paiement interbancaire et hausse des ventes de pétrole iranien : malgré certains accrocs, l’accord nucléaire iranien commence dans ce sens à porter ses fruits. Le pragmatisme des décideurs politiques semble à l’œuvre de part et d’autre, notamment du côté des iraniens modérés portés par Hassan Rohani, Président de la République Islamique, pour permettre au processus de se poursuivre. Et ce malgré la volonté de certaines factions conservatrices de nuire à cette entente retrouvée – tels que les Gardiens de la révolution (organisation paramilitaire dépendant directement du Guide de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei), responsables de récents essais de lancement de missiles, contraires aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Ce bouleversement historique, susceptible de marquer un retour durable de l’Iran dans le concert des Nations, constitue-t-il pour autant une bonne nouvelle pour le peuple iranien en matière de droits de l’homme ?
Certes, l’ouverture économique qui se joue actuellement pourrait, à moyen terme, fournir un nouveau souffle à la classe moyenne et, partant, aux forces pro-démocratiques iraniennes ; leur offrant une opportunité de maintenir le thème des libertés fondamentales à l’agenda. En tant que telle, elle ouvre aussi la porte à une amélioration des conditions de vie de la population iranienne, et donc à une timide progression des droits économiques et sociaux. La « Révolution verte », réprimée dans le sang en 2009, n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère à l’assouplissement de l’approche iranienne et à la décision de se rasseoir à la table des négociations – une façon, à terme, de racheter la paix sociale.
En matière de droits civils et politiques, nombre d’observateurs s’accordent pourtant sur le fait qu’il est encore trop tôt pour crier victoire, comme en témoigne le dernier rapport d’Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Iran. Toute une partie de l’appareil étatique iranien reste en effet en retrait de la politique d’ouverture dont le Président Rohani constitue le nouveau visage. Au sein des factions conservatrices, fidèles au Guide suprême de la révolution et à son discours fondamentalement anti-américain, la tentation de repli reste dans ce sens encore grande. Pire encore, les craintes d’une « invasion culturelle occidentale » rendue possible par l’allègement des sanctions économiques pourraient conduire à une crispation accrue des autorités, en particulier judiciaires et sécuritaires. En témoigne un inquiétant musellement de la presse et une multiplication des condamnations relatives à la liberté d’expression, dont journalistes et artistes progressistes continuent à être victimes. La fermeté semble ainsi de mise en matière culturelle et de droits humains, restés dans l’ombre d’une course aux investissements qui apparaît délestée de toute considération éthique.
Dans le même sens, les organisations de défense des droits de l’homme et le rapporteur onusien déplorent une hausse notable des exécutions pour l’année 2015. Le code pénal islamique, qui a fait l’objet d’une réforme jugée encourageante en 2013, peine ainsi à tenir ses promesses en termes de mise en œuvre. De même, la législation iranienne reste à ce jour nettement défavorable aux minorités religieuses telles que la secte Baha’i – que le reproche d’une allégeance passée au Shah condamne encore à l’opprobre – mais aussi aux musulmans convertis au christianisme, accusé d’apostasie, et à la minorité sunnite, à laquelle la construction de nouveaux lieux de culte est régulièrement refusée. Envers ces populations comme envers les femmes iraniennes, on constate un maintien des discriminations en matière de droits fondamentaux et d’accès à l’emploi. A l’image de la Chine, dont la politique d’ouverture économique a débuté dans les années 1990, les bienfaits du libéralisme ne s’accompagnent pas toujours d’une amélioration de la situation en matière de libertés fondamentales.
Il est dès lors encore trop tôt pour évaluer l’impact de l’accord nucléaire en matière d’ouverture démocratique. Deux facteurs au moins pourront influencer cet impact à plus long terme. Sur le plan intérieur, les urnes auront leur mot à dire. En témoignent les élections du 26 février 2016, qui ont récompensé la liste modérée de Rohani à Téhéran, remportant l’intégralité des 30 sièges de la circonscription. Rohani et les modérés n’ont à ce jour pas encore suffisamment dénoncé les abus des conservateurs du système judiciaires et des forces de sécurité du régime. Il pourrait en aller autrement dans le cadre d’un 2e mandat de Rohani, à compter de 2017. Un tel signal populaire pourrait en effet contribuer à renforcer le camp de la modération, lui fournissant plus de marge de manœuvre dans la poursuite d’un tel programme d’ouverture. Sur le plan extérieur, les multinationales qui s’apprêtent à investir le terrain iranien devraient, quant à elles, être tenues publiquement co-responsables de l’évolution de la situation en matière de droits humains ; et poussées à promouvoir un assouplissement des mœurs politiques et sociales en Iran, soutenant de ce fait l’agenda plus modéré du gouvernement de Rohani. Il importe donc autant que possible de prêter attention à l’évolution de la situation dans les mois à venir ; et de faire pression pour mettre en place des conditions favorables – tant au niveau national qu’international – pour accompagner l’ouverture économique actuelle d’un assouplissement du régime sur les questions d’ordre politique.
Plusieurs défis continueront toutefois à paver la voie de cette évolution : en premier lieu, l’emprise toujours déterminante des conservateurs religieux au sein du système politique iranien – forces qui, dans leur crainte de toute ingérence, ne manqueront pas de chercher à contrer la moindre tentative de remettre publiquement en question les mœurs sociales et culturelles de la patrie. De ce fait, on peut craindre que la mainmise conservatrice sur le pouvoir iranien ne permette qu’une très lente évolution de la situation ; et que, contrairement aux espoirs de certains, le dégel actuel ne puisse s’accompagner d’une véritable libéralisation sociale et politique. D’autre part, le fait que les acteurs même de l’ouverture économique actuelle répondent à de multiples intérêts, et que les mieux établis n’ont – pour des raisons matérielles mais aussi culturelles, notamment en termes de génération – pas à gagner d’une nouvelle donne, qui serait synonyme de concurrence accrue dans un système encore fortement marqué par le clientélisme.
Nous vous proposons plusieurs pistes de lecture sur le sujet :
- Sur la question des droits de la femme et de l’amour en Iran : nous vous recommandons sans réserve l’excellente bande dessinée de Jane Deuxard et Deloupy « Love Story à l’Iranienne » (éd. Delcourt), qui relate avec finesse le quotidien vécu par la jeunesse iranienne. Le couple de journalistes français connu sous le pseudonyme de Jane Deuxard publie ainsi un ouvrage courageux, réalisé sous couvert d’anonymat au fil de rencontres avec cette nouvelle génération à la fois habituée à – et lassée de – scinder vies publique et privée, apparences et modernité, pour survivre au régime des mollahs.
- Difficile mise en œuvre de l’accord nucléaire iranien, Le temps : https://www.letemps.ch/opinions/2016/05/02/difficile-mise-oeuvre-accord-nucleaire-iranien
- Dernier rapport d’Ahmed Shadeed, Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en République islamique d’Iran : http://shaheedoniran.org/ , et dernier rapport de mars 2016 : http://shaheedoniran.org/wp-content/uploads/2016/03/SR-Report-HRC2016FF.pdf
- Récente série thématique d’Histoire vivante sur l’Iran : http://www.rts.ch/docs/histoire-vivante/7742850-l-iran-1979-la-revolution-1-5.html
- Reportage RTS « Iran, chronique d’une année décisive » : http://www.rts.ch/docs/histoire-vivante/a-voir/7660599-iran-chronique-d-une-annee-decisive.html
- Dossier Thema sur l’Iran : http://info.arte.tv/fr/iran-accord-programme-nucleaire
- Les analyse du géographe Bernard Hourcade, observateur avisé de l’Iran contemporain : http://orientxxi.info/auteur/bernard-hourcade
- Les résultats des dernières élections parlementaires iraniennes : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20160228.AFP8272/elections-en-iran-les-allies-de-rohani-en-voie-de-se-renforcer.html