Finaliste 2015
Younès Klouche
Né à Lausanne, Younès Klouche étudie la photographie à l’ECAL où il vient de passer son diplôme. Par son travail, il cherche des solutions pour renouveler le genre documentaire grâce à une approche conceptuelle et réflexive. Ses travaux prennent la forme de livres et d’installations avec des expositions collectives, notamment au Musée de l’Elysée à Lausanne, au Photoforum à Bienne ou encore avec une projection à la Tate Modern à Londres.
Aujourd’hui engagé comme photographe pour la communication de l’ECAL, Younès Klouche travaille tant à la réalisation de mandats destinés à promouvoir l’institution qu’au rayonnement de son propre travail avec, entre autres, la publication d’une monographie en 2016.
Aujourd’hui engagé comme photographe pour la communication de l’ECAL, Younès Klouche travaille tant à la réalisation de mandats destinés à promouvoir l’institution qu’au rayonnement de son propre travail avec, entre autres, la publication d’une monographie en 2016.
TRUST Magnum, 2015
« La Suisse centrale est le berceau historique fédéral. Appelée aussi Suisse primitive, elle ne possède aucune frontière avec un pays étranger. Les cantons de cette région sont parmi les plus conservateurs. Certains sont des paradis fiscaux. Les entreprises qui y ont implanté leur siège donnent à la Suisse un rôle majeur dans le commerce mondial des matières premières.
Glencore, géant du négoce, du courtage et de l’extraction de métaux, est installé à Zoug. Marc Rich, son fondateur, était poursuivi par la justice américaine pour corruption et évasion fiscale. Il figurait sur la liste des « most wanted » du FBI. Le fait de s’installer en Suisse lui a permis d’échapper à la prison. Le bâtiment de Glencore, hors du centre de Zoug, se cache derrière de grands hêtres. Les membres de la direction et les employés du groupe arrivent et repartent par l’entrée du garage souterrain. À midi, ils montent dans un bus aux vitres teintées qui les emmène manger au centre. Je ne peux donc les photographier qu’en me plaçant sur la propriété de l’entreprise, en évitant les vigiles et sans m’attarder sous les caméras de surveillance. Le secret augmente la marge de manœuvre de ces multinationales. Moins nous parlerons d’elles et plus elles fructifieront.
L’évasion fiscale n’est pas un sujet photographique, elle n’est pas représentée dans le spectre du visible ; c’est une donnée factuelle. Par contre la photographie permet de montrer ce qu’on ne voit pas et/où ce que l’on ne doit pas montrer. Les cadrages très serrés suggèrent le hors-champ et font comprendre que l’on n’a pas toute l’information, que tout ne nous est pas dit. De même que les surfaces réfléchissantes et opaques présentes dans la série. Qu’il s’agisse du pare-brise d’une voiture ou des vitres d’un bâtiment, on ne voit pas ce qui se passe derrière, on ne doit pas dire ce qui se passe derrière et donc on dit qu’il s’y passe des choses.
À la minute exacte où le collaborateur d’une de ces entreprises est licencié, tous ses contacts et mails disparaissent de son ordinateur. Il n’a plus accès aux tiroirs de son propre bureau et un agent l’accompagne sans délai à l’extérieur du bâtiment. La prospérité économique de la maison implique de réduire au silence tous ceux qui ont des choses à dire.
Dans la périphérie de Brunnen, une petite commune du canton de Schwyz, se trouve un bâtiment industriel protégé par des grillages et des barbelés. Sur l’une des façades on peut lire RUAG Together ahead. C’est une entreprise internationale active dans le domaine de la défense. Rapidement après avoir photographié ce logo, un groupe de soldats tessinois déployés dans la région m’a interpellé. Ils m’ont conduit dans une grange qu’ils occupaient afin de me questionner sur la raison de ma présence et sur mon intérêt pour ce bâtiment en particulier. Ils ont menacé de confisquer mon appareil et ont fini par contacter la police ferroviaire fédérale. Deux agents sont arrivés et m’ont fouillé, répandant le contenu de mon sac sur une caisse qu’ils avaient retournée. J’ai réussi à éviter qu’ils ne confisquent ma caméra et mes rouleaux de pellicule. Même en Suisse ce genre de mésaventure se reproduit régulièrement depuis que j’ai commencé à faire de la photographie. Je n’ai pourtant pas besoin d’accès privilégié, je ne montre que ce qu’un autre aurait pu voir s’il faisait le déplacement. Or cette approche du médium est déjà problématique et engendre beaucoup de négociations avec les forces de l’ordre ou des agents de sécurité privée. »
Younès Klouche
younes.klouche.com
Glencore, géant du négoce, du courtage et de l’extraction de métaux, est installé à Zoug. Marc Rich, son fondateur, était poursuivi par la justice américaine pour corruption et évasion fiscale. Il figurait sur la liste des « most wanted » du FBI. Le fait de s’installer en Suisse lui a permis d’échapper à la prison. Le bâtiment de Glencore, hors du centre de Zoug, se cache derrière de grands hêtres. Les membres de la direction et les employés du groupe arrivent et repartent par l’entrée du garage souterrain. À midi, ils montent dans un bus aux vitres teintées qui les emmène manger au centre. Je ne peux donc les photographier qu’en me plaçant sur la propriété de l’entreprise, en évitant les vigiles et sans m’attarder sous les caméras de surveillance. Le secret augmente la marge de manœuvre de ces multinationales. Moins nous parlerons d’elles et plus elles fructifieront.
L’évasion fiscale n’est pas un sujet photographique, elle n’est pas représentée dans le spectre du visible ; c’est une donnée factuelle. Par contre la photographie permet de montrer ce qu’on ne voit pas et/où ce que l’on ne doit pas montrer. Les cadrages très serrés suggèrent le hors-champ et font comprendre que l’on n’a pas toute l’information, que tout ne nous est pas dit. De même que les surfaces réfléchissantes et opaques présentes dans la série. Qu’il s’agisse du pare-brise d’une voiture ou des vitres d’un bâtiment, on ne voit pas ce qui se passe derrière, on ne doit pas dire ce qui se passe derrière et donc on dit qu’il s’y passe des choses.
À la minute exacte où le collaborateur d’une de ces entreprises est licencié, tous ses contacts et mails disparaissent de son ordinateur. Il n’a plus accès aux tiroirs de son propre bureau et un agent l’accompagne sans délai à l’extérieur du bâtiment. La prospérité économique de la maison implique de réduire au silence tous ceux qui ont des choses à dire.
Dans la périphérie de Brunnen, une petite commune du canton de Schwyz, se trouve un bâtiment industriel protégé par des grillages et des barbelés. Sur l’une des façades on peut lire RUAG Together ahead. C’est une entreprise internationale active dans le domaine de la défense. Rapidement après avoir photographié ce logo, un groupe de soldats tessinois déployés dans la région m’a interpellé. Ils m’ont conduit dans une grange qu’ils occupaient afin de me questionner sur la raison de ma présence et sur mon intérêt pour ce bâtiment en particulier. Ils ont menacé de confisquer mon appareil et ont fini par contacter la police ferroviaire fédérale. Deux agents sont arrivés et m’ont fouillé, répandant le contenu de mon sac sur une caisse qu’ils avaient retournée. J’ai réussi à éviter qu’ils ne confisquent ma caméra et mes rouleaux de pellicule. Même en Suisse ce genre de mésaventure se reproduit régulièrement depuis que j’ai commencé à faire de la photographie. Je n’ai pourtant pas besoin d’accès privilégié, je ne montre que ce qu’un autre aurait pu voir s’il faisait le déplacement. Or cette approche du médium est déjà problématique et engendre beaucoup de négociations avec les forces de l’ordre ou des agents de sécurité privée. »
Younès Klouche
younes.klouche.com